Pierre-Emmanuel Wolga – 12 Décembre 2023
Savoir d’où l’on vient ! Au début de l’informatique…
« Ah, mais c’est du photoshop ! »
Je suis un artiste qui est né en 1977, j’ai commencé par la peinture, puis je me suis dirigé vers la création numérique dans les années 2000. L’informatique nous offrait alors un logiciel merveilleux : Photoshop !
Durant de longues années, j’ai entendu cette phrase ridicule : « mais c’est du photoshop ! ». La phrase rédhibitoire et péremptoire dans la bouche des puristes de la photo argentique, qui laisser souvent jaillir leur haine au sujet de l’informatique et des logiciels de retouche. Encore aujourd’hui certains magazines ou festivals de la photo ont un dégout prononcé et bien ancré pour le photo-painting. Y voient-ils un concurrent à leur discipline ? Cette insupportable condescendance portée par la volonté d’humilier, d’écraser et de bannir des beaux-arts cet art comme un vulgaire effet spécial acquis sans effort artistique et sorti d’un gadget informatique. Je me demande ce qu’ils en pensent aujourd’hui…
Le photo-painting comme j’aime à appeler cette manière de créer, et un art à part entière qui nécessite un sens artistique accrue à qui veux faire des œuvres intéressantes et pertinentes. Comme tout art, tout le monde peut le pratiquer à sa manière et la patte de l’artiste, son authenticité est reconnaissable. C’est un outil comme un autre qui permet à l’artiste de s’exprimer.
En photo-painting, l’artiste maîtrise toutes les étapes de créations. Il réalise sa matière première : photo, dessin, peinture, … puis il l’utilise pour créer quelque chose de nouveau grâce à l’outil informatique. Il peut revendiquer ses droits d’auteurs sur toutes les étapes de création, de sa matière première jusqu’au rendu final.
L’ennui avec l’outil informatique est sa constante évolution. Mes créations faîtes avec les premières versions de Photoshop ne sont pas très différentes des dernières, ormis mes compétences et mon perfectionnement. Le processus de création est plus « philosophique » que technique. Les dernières versions du logiciel ne me font pas créer autrement et autre chose, elles me permettent de créer plus souplement avec plus de finesse et de précision. Cependant, aujourd’hui nous connaissons les IA génératives – Intelligences Artificielles génératives d’image de vidéo et d’audio, qui s’installent de partout. La technique change, et le processus de déshumanisation de la création pointe le bout de son nez.
Je ne parle que des IA génératives d’images, de vidéo et d’audio. Je ne peux parler en mal de toutes les IA. Evidement les IA pour faire la guerre ou pour faire du fric me rendent malade. Mais les IA sont pour l’humanité une chance merveilleuse d’un point de vue médical et philanthropique. Nous allons pouvoir trouver des remèdes à de graves maladies et tant d’autres choses bonnes pour l’humain. C’est pourquoi la question est difficile. La course aux IA est aujourd’hui la nouvelle guerre des puissants et une source de conflit géopolitique majeur.
Nous appelons aujourd’hui les artistes qui composent des œuvres grâce aux IA génératives des prompt artistes. Le cheminement créatif peut s’avérer assez long avant d’atteindre le rendu final. Les artistes prompteurs prennent beaucoup de temps à composer leurs prompts qui serviront à définir leurs œuvres ou leurs matières premières. Parfois et pour les plus « artiste » d’entre eux, ils continuent leurs œuvres avec de la retouche numérique. Il faut comprendre que nombre d’artistes s’essayent à la création avec des IA et ils veulent défendre leur outil de travail, c’est compréhensible. Ce que nous devons éclaircir est la part de l’IA dans l’œuvre. C’est cette partie à laquelle l’artiste ne peut rattacher ses droits d’auteurs, malgré ce que veulent vous faire croire les plateformes qui hébergent ces fameuses IA génératives. À partir du moment où vous faîtes appel à une IA pour générer la partie visuelle de l’œuvre, c’est-à-dire la plus importante, l’artiste se soumet forcément au rendu de la machine et surtout à sa base de données qui est, elle-même, composée d’un nombre gigantesque d’œuvres existantes d’artistes non consentants à ce partage. L’artiste prompteur n’est donc plus légitime à ses droits d’auteurs. La question qui se pose alors est : mais à qui appartiennent ces droits d’auteurs ?
Il s’agit là d’un pillage artistique à échelle mondiale. Nous pouvons nous poser la question de la légalité des process et de la légitimité des prompts artistes. L’AI Act qui doit être débattu à Bruxelles en 2024 pour encadrer les IA génératives nous donneront peut-être des réponses.
Si je n’utilise pas d’IA, je ne suis pas foncièrement contre les artistes qui le font, chacun doit pouvoir s’exprimer avec les outils de son choix. Pour autant que ces outils agissent dans la légalité, c’est la question majeure de ces IA génératives.
J’avance l’idée qu’il faut nourrir les artistes, pas les algorithmes. Je reprends ici le message du très grand magazine d’art Beautiful Bizzare Magazine : « feed the artist, not the algorithm »
« En tant que champion des arts visuels, Beautiful Bizarre Magazine a pris la décision de ne pas soutenir l’art de l’IA. Nous avons beaucoup lu sur ce sujet et avons écouté les opinions de nombreux artistes à ce sujet. Nous pensons avoir pris la bonne décision pour soutenir notre communauté. AI Art prend les emplois d’artistes, de designers et d’illustrateurs humains et utilise leur travail sans leur consentement ni compensation pour créer ce qu’il appelle une « nouvelle œuvre ». Cela dévalorise également les années de pratique, la vision unique, les compétences et l’expérience pour lesquelles les artistes humains travaillent dur. »
Entre 2019 et 2022, je recevais beaucoup d’encouragement à passer mes œuvres en NFT (Non-fungible Token) avec des smart contrats qui permettent un revenu passif en cryptomonnaies à chaque revente. Sur le papier, c’était effectivement très intéressant. Cependant un paramètre me paraissait douteux : le format d’image. Sur les fameuses plateformes dédiées à la revente des NFT en cryptomonnaie, le format demandé est la haute définition. Mettre sur internet et rendre son travail accessible à tout le monde en haute définition, c’est le perdre. Un autre point douteux était qu’un grand nombre d’influenceurs en cryptomonnaies vanté cette nouvelle méthode de vendre de l’art. Le message était que les artistes qui joueraient le jeu deviendraient millionnaires si ce n’est milliardaires dans les dix ans. C’est le message des escrocs, je ne vous apprends rien. Tout ceci m’a laissé suspicieux et j’ai décidé d’attendre et de voir comment ça allé évoluer. Si effectivement c’était une bonne affaire, il ne serait jamais trop tard pour m’y mettre.
J’avoue que le système et le concept de la blockchain m’avait séduit et je le trouvais assez révolutionnaire pour s’y intéresser. Un système décentralisé c’est la solution de sauvegarde et la meilleure protection contre tous piratages… Cependant, les transactions de cryptomonnaies ne m’ont jamais inspiré, et ce sont elles qui m’ont mis en état d’alerte et de méfiance.
Le concept des NFT est un concept de geek basé sur l’obtention d’un soi-disant fichier originel. Ce qui ne repose sur aucune réalité. Le seul fichier originel qui existe est celui qui est créer par le logiciel, l’appareil photo, le scanner ou autre outil informatique. Ensuite tout n’est que copie. Tout n’est que copie en informatique. Quand on place un fichier sur internet on le copie, il ne s’efface pas de notre machine. De plus, tout le monde peut récupérer les images de tout le monde en haute définition… c’est absurde. Cette idée de posséder un fichier original comme œuvre d’art est ridicule car, si tout le monde peut posséder l’œuvre en haute définition avec un simple clic droit, donc sans la payer, tout le monde peut l’imprimer et l’encadrer. L’œuvre perd toute légitimité, valeur et garantie de rareté. Ces plateformes piétinent les droits d’auteurs en donnant accès à des œuvres d’artistes en haute définition. Sans compter que les artistes payent très cher leurs droits d’entré sur ces plateformes…
Ce qu’il s’est passé : les IA génératives d’images, de vidéo et d’audio sont apparues courant 2022 et tout est devenu claire. Ces fameuses IA pour générées les images ont besoin d’une base de données, d’une banque d’images incroyable dans laquelle puiser des sources pour recomposer de nouvelles images à l’infini. La bonne qualité de la source était un facteur obligatoire. Des images en haute définition, renseignées avec des métadonnées … vous comprenez ? Les IA ont puisé dans les banques d’images haute définition des NFT.
Ce qui veux dire que le projet des IA génératives d’images était déjà défini depuis longtemps. Bien avant qu’apparaisse la « mode » des NFT. Dans quel but ? Nous faire accepter les IA progressivement ? Rendre les IA accessibles à tous et nous les rendre sympathique et indispensable ? Je ne sais pas… Les IA génératives étaient alors encore sous silence mais dans le cahier des charges des concepteurs il fallait trouver un moyen de réaliser des banques d’images d’artistes et de photographes en haute définition afin de puiser dedans, ça c’est la réalité. Je m’explique : les IA génératives n’auraient pas rencontré autant de succès avec des compositions basse définition, qui est la norme sur internet, comme chacun sait, pour une navigation fluide, les images doivent être légères. La qualité des œuvres générées par les IA aurait été bien trop médiocre avec une base de données basse définition. Et l’idée de faire passer les IA génératives pour gadget informatique de mauvaise qualité n’était pas concevable.
Les NFT sont donc, en grande partie, les banques d’images dans lesquelles piochent les IA génératives pour générés leurs images, vidéos et audio. Donc, un artiste qui fait du prompt art utilise des images d’autres artistes, bien entendu non consentant à ce partage. Il s’agit là d’un opt-out non défini, par conséquent acquis pour les robots pilleurs d’œuvres artistiques. Quand bien même un système d’opt-out défini sur l’opposition, je pense que cela n’aurait rien changer. Les concepteurs des IA génératives sont des voleurs.
Je suis certain que les artistes attirés par les promesses des NFT et qui ont posé leurs œuvres sur les plateformes dédiées se sont fait avoir. Quand ils découvrent leurs œuvres diluées et fusionnées à d’autres dans de nouvelles compositions, il devient alors pour eux, quasi impossible de défendre leurs droits d’auteurs tant les fusions sont importantes. Le seul moyen pour un artiste de protéger ses œuvres sur internet est la basse définition, et ce, même si des IA permettent d’augmenter les qualités d’images. Le simple fait qu’elles soient en basse définition, fait rebondir les robots pilleurs vers d’autres sites.
Posséder une œuvre d’artiste chez soi, imprimé, signé et numéroté par l’artiste lui-même, c’est ça la réalité ! une réalité tangible et palpable. Une garantie que seules les personnes qui ont acheté l’œuvre à l’artiste la possède. Seul l’artiste peut être garant de la valeur et de la rareté de son œuvre en respectant le droit français en art. L’artiste vends des tirages limités et numérotés sur des supports physiques réels. Il délivre des certificats d’authenticité, et non des smart contrats qui le font rêver à des revenus passifs.
Et même si je ne suis pas favorable aux IA, il faut connaître son sujet. Je me suis donc amusé à tester les IA pour savoir de quoi je parle, mes avec mes sources ! Voici deux essais en autoportraits. Suite à cela je peux affirmer que les résultats échappent totalement à ma volonté artistique, je me suis laissé guider par la machine et son rendu.
Je ne prétends pas être dans la vérité absolue, c’est ici mon point de vue. Je serais heureux de pouvoir en débattre avec vous, alors pas d’hésitation ! laissez moi un message et parlons en ! À bientôt
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